La Bulle Unam Sanctam (1302) de Boniface VIII

Dans cet article, je souhaiterais vous présenter la Bulle Unam Sanctam fulminée par le pape Boniface VIII à la fin de l’année 1302.

Pour ceux qui ne me connaitraient pas, je précise que je suis protestant évangélique. Je ne suis donc pas en accord théologique avec ce texte, néanmoins c’est un document historique important qui mérite d’être connu.

Après quelques recherches, je me suis rendu compte qu’il était difficilement accessible sur internet, puisque je n’ai trouvé pour l’instant que le texte latin et une traduction anglaise.

Je vous en propose donc une version française. Le texte est en violet, et en rouge. Les citations bibliques sont en bleu. Il est précédé d’une introduction pour situer le contexte et suivi d’un bref commentaire.

Le contexte

Depuis l’arrivé sur le trône de Philippe le Bel (1285-1314), les relations entre Rome et le Royaume de France se sont tendues. Le nouveau roi souhaite en effet renforcer le pouvoir civil au détriment de l’autorité religieuse et s’attaque pour cela à certaines exemptions cléricales.

Le roi prélève notamment de l’argent sur le clergé, alors que celui-ci bénéficiait théoriquement d’une exonération fiscale, ce qui lui vaut un premier avertissement de Boniface VIII qui fulmine en 1296 la bulle Clericis laicos.

Par ailleurs, le roi veut aussi exercer sa justice sur les clercs, alors que ceux-ci échappaient aux tribunaux civils. Ce dernier point se manifeste en particulier en 1301, avec l’affaire « Bernard Saisset ».

Le roi souhaite que cet évêque accusé de trahison soit jugé par le pouvoir civil et non par l’Eglise. C’est dans ce contexte que la Bulle Unam Sanctam est fulminée. En réponse à cette Bulle, le pape Boniface VIII est attaqué physiquement par les agents du roi et décède un an plus tard, en 1303, suite à ces mauvais traitements.

Cette Bulle est habituellement considérée comme le sommet de la théocratie pontificale.

La Bulle Unam Sanctam (1302)

« La Sainte Eglise Catholique est une et apostolique, c’est là un dogme que la foi impose de croire et de garder. Nous y croyons fermement et nous la professons sans équivoque. Hors d’elle, il n’y a point de salut ni de rémission des péchés. L’époux du Cantique des Cantiques le proclame : « Une seule est ma colombe, ma parfaite, elle est l’unique de sa mère, l’élue de celle qui lui donna le jour ». Elle représente un corps mystique. Le Christ est le chef de ce corps, comme Dieu celui du Christ ; en elle, il n’y a qu’un Seigneur, une foi et un baptême.

Il n’y a eu en effet, au temps du déluge, qu’une seule arche, celle de Noé, figure de l’unique Eglise, qui, reposant sur une étrave, n’a eu qu’un pilote et qu’un guide, le seul Noé ; et tous les êtres qui étaient en dehors, nous dit l’Ecriture, périrent. C’est celle-là que nous vénérons et elle est unique selon la parole du Seigneur dans le Psaume : « Protège mon âme contre le glaive, mon unique vie contre le pouvoir des chiens ». Il a prié pour son âme, c’est-à-dire pour Lui-Même, chef et corps ; et ce corps, il l’a appelé son unique, désignant l’Eglise à cause de l’unité de l’époux, de la foi, des sacrements et de la charité. C’est cette tunique sans couture du Seigneur qui ne fut pas partagée mais tirée au sort.

Donc cette Eglise une et unique n’a qu’un corps et qu’une tête et non pas deux têtes, ce qui ferait un être monstrueux. C’est le Christ et le vicaire du Christ, Pierre et le successeur de Pierre, puisque le Seigneur a dit à Pierre lui-même : « Pais mes brebis » : Mes brebis, dit-il, d’une manière générale, et non pas spécialement telle ou telle. Ce qui veut dire qu’Il les lui a toutes confiées. Si donc soit les Grecs, soit d’autres prétendent qu’ils ne sont pas confiés à Pierre ou à ses successeurs, ils doivent nécessairement avouer qu’ils ne font point partie des brebis du Christ, puisque le Seigneur a dit dans saint Jean qu’il n’y a qu’un seul bercail et un seul et unique pasteur.

Dans cette Eglise et en son pouvoir, il y a, nous le savons par les paroles de l’Evangile, deux glaives, le spirituel et le temporel. Car les apôtres disent « il y a deux glaives ici », c’est-à-dire l’Eglise. Puisque c’étaient les apôtres qui parlaient, le Seigneur n’a pas répondu : « C’est trop », mais « C’est assez ». Sûrement celui qui nie que le glaive temporel est au pouvoir de Pierre ne remarque pas assez la parole du Seigneur : « Mets ton glaive au fourreau ». Les deux glaives sont donc au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le matériel, mais l’un doit être manié pour l’Eglise, l’autre par l’Eglise ; l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois et des chevaliers, mais sur l’ordre du prêtre et tant qu’il le permet. Car il faut que le glaive soit sous le glaive et que l’autorité temporelle soit soumise à la spirituelle. L’apôtre dit : « Il n’y a pas d’autorité qui vienne de Dieu », ce qui est ordonné à Dieu. Or il n’y a pas d’ordre si l’un des glaives n’était pas sous l’autre, et si l’intérieur n’était pas ramené par l’autre au principe commun. Car, selon saint Denys : « C’est une loi de l’action divine que les choses inférieures soient ramenées à leur principe par un intermédiaire ». Donc, suivant l’ordre de l’univers, tout ne se rattache pas au principe ordonnateur sans gradation, ni intermédiaire ; mais on va des choses infimes aux moyennes, des inférieures aux supérieures.

Or, la puissance spirituelle l’emporte par la dignité et la noblesse sur toute puissance temporelle, nous devons l’affirmer, aussi clairement que les choses spirituelles l’emportent sur les temporelles. C’est ce que nous voyons avec évidence par le paiement des dîmes, par le pouvoir de bénir et de sanctifier, par l’institution du pouvoir et par la disposition même des choses. Car, c’est là une vérité incontestable, la puissance spirituelle doit établir la puissance temporelle et la juger si elle prévarique. L’Eglise et la puissance ecclésiastique vérifient ainsi la prophétie de Jérémie : « Voici que je t’ai établi aujourd’hui sur les nations et les royaumes », et ce qui suit. Donc, si une puissance temporelle dévie, elle aura pour juge son supérieur. Si c’est la puissance ecclésiastique suprême, elle ne pourra être jugée que par Dieu, comme l’atteste l’apôtre : « l’homme spirituel juge tout et il n’est lui-même jugé par personne ».

Cette autorité, en effet, bien qu’elle soit donnée à un homme et exercée par un homme, n’est pas humaine mais plutôt divine, donnée par la bouche de Dieu à Pierre, fondée pour lui et ses successeurs sur la pierre qui est le Christ que Pierre a confessé, suivant la parole du Seigneur à ce même Pierre : « Tout ce que tu lieras… » et le reste.
Quiconque donc résiste à cette puissance ainsi ordonnée par Dieu résiste à l’arrangement de Dieu, sans quoi il faut admettre, comme le Manichéen, deux principes, ce que nous jugeons faux et hérétique car au témoignage de Moïse, c’est en un principe et non en plusieurs que Dieu a créé le ciel et la terre.

En conséquence, nous déclarons, disons et définissons qu’il est absolument nécessaire à toute créature humaine d’être soumise au pontife romain pour arriver au salut. »

Commentaire

Cette Bulle a eu une longue postérité et a été citée à de nombreuses reprises dans les textes magistériels jusqu’au début du XXe siècle. Bien entendu, depuis Vatican II, l’Eglise a totalement changé de discours, ce qui n’enlève toutefois rien à l’importance historique de ce texte.

Plusieurs points peuvent être retenus :

  1. La formule finale montre sans ambiguïté que Boniface VIII tient ses propos en tant que pape et non en tant que docteur privé. Par conséquent, d’après la théologie catholique, les déclarations de cette Bulle sont revêtues de l’infaillibilité pontificale.
  2. Cette Bulle affirme clairement que le salut ne peut-être obtenu qu’en étant soumis au pontife romain, ce qui exclut donc les non-chrétiens, les chrétiens schismatiques/hérétiques (évoqués explicitement dans le §3 : « Si donc soit les Grecs, soit d’autres… ») et les catholiques romains désobéissants ;dont le roi de France bien sûr, qui est directement visé sans être nommé.
  3. Enfin, cela peut paraître secondaire, mais c’est une déclaration qui est importante dans le cadre de certains débats théologiques contemporains, Boniface VIII affirme aussi que le pape est susceptible de dévier, mais que, même dans ce cas-là, on lui doit obéissance, car il ne peut être jugé que par Dieu.

Articles liés

Quelle(s) différence(s) entre catholiques et protestants ? 

Pourquoi les catholiques chantent-ils des hymnes à Lucifer ?