Liberté de conscience et exclusivisme doctrinal : la laïcité de Roger Williams

Roger Williams (env. 1603-1683) est un théologien réformé anglais. Refusant la confusion entre l’Etat et l’Eglise, il quitte l’Angleterre et émigre au Massachussetts, la « Genève de l’Amérique ».

Bien que théologiquement d’accord avec les dirigeants de la colonie, il entre en conflit avec eux à cause de sa vision des rapports entre l’Etat et l’Eglise. En effet, fidèle à ses principes, il prône une séparation stricte et la liberté de conscience pour tous les individus, quelque soit leur croyance.

Il quitte donc le Massachussetts pour fonder une nouvelle colonie sur des terres qu’il achète aux Indiens. Cette colonie, qui deviendra l’Etat de Rhodes Island, lui permet de concrétiser les principes qu’il défend et devient un lieu d’accueil pour toutes les personnes victimes de persécutions religieuses. Il est de fait un des premiers, et peut-être même le premier, à appliquer le principe de laïcité.

Cependant, ce personnage est encore peu connu de l’historiographie dominante, car son profil ne correspond pas vraiment à l’idéal imaginé par les défenseurs de la laïcité au XIXe siècle. En effet, loin d’un quelconque libéralisme, Roger Williams adhère au contraire à une orthodoxie réformée stricte et à un exclusivisme doctrinal.

Enfin et surtout, c’est au nom de la Bible et de la foi chrétienne qu’il défend la laïcité.

Je vous propose une traduction, faite par Mireille Hébert, du sommaire des propositions exposées dans La Doctrine sanguinaire de la persécution pour motif de conscience examinée dans une confrontation avec la vérité et la paix (1644).

Roger Williams

Premièrement, le sang que des centaines de milliers de protestants et de papistes ont versé aujourd’hui comme hier dans des guerres livrées au nom de leurs consciences respectives n’est ni requis ni accepté par Jésus-Christ, le Prince de paix.

Deuxièmement, tout au long de ce livre, des passages scripturaires et des arguments significatifs sont proposés contre la doctrine de la persécution pour motif de conscience.

Troisièmement, il est répondu de manière satisfaisante aux arguments scripturaires et aux objections de MM. Calvin et Bèze, de M. Cotton et des ministres des Eglises de Nouvelle-Angleterre, ainsi qu’à d’autres plus anciens ou plus récents qui cherchent à défendre la doctrine de la persécution pour motif de conscience.

Quatrièmement, il est montré que la doctrine de la persécution pour motif de conscience est coupable de tout le sang des âmes qui crient vengeance sous l’autel.

Cinquièmement, il est montré que tous les pouvoirs civils et leurs officiers de justice avec leurs constitutions et leurs administrations respectives sont civils par essence, et que par conséquent ils ne sont ni juges, ni gouverneurs, ni défenseurs de la condition et du culte spirituels ou chrétiens.

Sixièmement, c’est la volonté et le commandement de Dieu, depuis la venue de son Fils le Seigneur Jésus, que soit garantie à tous, dans chaque nation et chaque pays, la liberté de consciences et des cultes, même ceux des plus païens, des Juifs, des Turcs ou des antichrétiens. Et on ne doit pas les combattre qu’avec la seule épée capable de conquête dans les affaires de l’âme, l’épée de l’Esprit de Dieu, la Parole de Dieu.

Septièmement, la condition du pays d’Israël, avec ses rois et son peuple, en paix ou en guerre, est figurative et cérémonielle ; elle n’est ni modèle ni précédent pour quelconque royaume ou pouvoir civil ultérieur dans le monde.

Huitièmement, Dieu ne demande pas que soit décrétée et imposée une uniformité de religion dans la communauté civile quelle qu’elle soit. Une telle uniformité forcée serait tôt ou tard le meilleur moyen de provoquer la guerre civile, le rapt des consciences, la persécution du Christ dans ses serviteurs, et l’hypocrisie et la destruction de millions d’âmes.

Neuvièmement, en maintenant par la force une uniformité de religion dans la communauté civile, nous devons nécessairement renoncer à nos désirs et à nos espoirs de voir les Juifs se convertir au Christ.

Dixièmement, une uniformité de religion imposée par la force partout dans une nation ou une communauté civile, confond le civil et le religieux, rejette les principes du christianisme et de la civilité, et nie l’incarnation de Jésus-Christ.

Onzièmement, autoriser des consciences et des cultes autres que ceux que professe un Etat est la seule chose qui puisse aux yeux de Dieu procurer une paix ferme et durable, la sagesse du pouvoir civil garantissant l’uniformité de toutes les sortes d’obéissance civile.

Douzièmement, enfin, la vraie civilité et le vrai christianisme peuvent tous deux prospérer dans un Etat ou un royaume, alors même que sont permises des consciences diverses et contraires, qu’il s’agisse de Juifs ou de gentils.

Bibliographie

Boss, M (éd.). (2013). Roger Williams. Genèse religieuse de l’Etat laïque. Genève : Labor et Fides.