Les Sentences de Pierre Lombard

Vie de Pierre Lombard

Pierre Lombard est né à la fin du 11e siècle (entre 1095 et 1100), prés de Novare. Il a vraisemblablement fréquenté dans un premier temps l’école cathédrale de cette ville, avant d’être envoyé à la faculté de droit de Bologne. Préférant la théologie, il part alors en France. Ce choix témoigne d’une époque où notre beau pays était le fleuron de la théologie chrétienne occidentale.

Grâce au soutien de Bernard de Clairvaux (1090-1153), il peut tout d’abord étudier à Reims. Cette école avait repris les méthodes d’Anselme de Laon (v. 1050-1117) et Guillaume de Champeaux (v. 1070-1122), deux des grands maîtres en théologie de cette époque. Il se déplace ensuite à Paris, où il assiste aux cours d’Hugues de Saint-Victor (1096-1141), qui est le plus important des maîtres de Saint-Victor. Son œuvre a particulièrement marqué Pierre Lombard.

Désormais Pierre Lombard ne quittera plus Paris. Il enseigne à l’école Notre-Dame dès 1140 et acquiert très vite une grande réputation. Il est chanoine de Notre-Dame de Paris, puis sous-diacre. Il est consulté par le pape Eugène III, lorsque celui-ci passe à Paris et intervient comme expert lors de plusieurs conciles, où il s’oppose notamment à Gilbert de Poitiers. En 1159, il est élu évêque de Paris, mais il meurt l’année suivante, le 20 juillet 1160.

L’œuvre de Pierre Lombard

Pierre Lombard est l’auteur de trois ouvrages importants : une Glose sur les Psaumes, une Glose sur les lettres de Paul et Quatre Livre des Sentences, dont je vais maintenant vous parler.

Ces Sentences ont été rédigées entre 1155 et 1157. Elles sont devenues le manuel de théologie de base des facultés de théologie de l’Occident médiéval, du 12e jusqu’au début du 16e siècle. Les étudier, voire les commenter, était un passage obligé pour chaque étudiant en théologie. Tous les grands docteurs, comme Thomas d’Aquin ou Bonaventure par exemple, sont passés par cette étape, et lorsque ceux-ci introduisent une citation de Pierre Lombard, ils écrivent simplement « le Maître ».

Controverses et reconnaissance

Au livre III, Pierre Lombard a énoncé plusieurs propositions christologiques qui ont été attaquées pour hérésie, notamment par le pape Alexandre III, qui était lui-même un théologien auteur d’un ouvrage des Sentences (Orlando Bandinelli). Le pape a adressé à trois reprises des mises en garde aux autorités ecclésiastiques contre certains enseignements de Pierre Lombard, en 1164, 1170 et 1177, mais ne le condamne finalement pas lors du concile de Latran III en 1179.

Au contraire, au concile suivant, celui de Latran IV en 1215, l’Eglise consacre définitivement le travail de Pierre Lombard, qui avait été entretemps attaqué par Joachim de Flore, et en recommande la lecture. C’est à partir de cette reconnaissance que débute la pratique du commentaire des Sentences, avec notamment le grand maître franciscain de l’époque, Alexandre de Halès. Les historiens ont dénombré plus d’un millier de commentaires. Parmi ces commentaires, on signalera notamment en 1508 celui d’un certain Martin Luther.

Plan des sentences

L’ouvrage est composé de quatre livres, divisés en 933 chapitres et 182 distinctions. Les distinctions ne remontent pas à Pierre Lombard, mais ont été établies par les éditeurs ultérieurs pour faciliter la lecture, puisqu’elles regroupent les chapitres par sujet. En traduction française, le texte fait environ 1500 pages.

Le livre I, sans aucun doute le plus difficile d’accès, présente la doctrine trinitaire. Il compte 48 distinctions et 210 chapitres. On peut le diviser en trois grandes parties : la doctrine (chapitres 1 à 3) qui sert d’introduction générale, puis la Trinité (chapitres 4 à 146) et les attributs divins (chapitres 147 à 210). Le livre II traite de la création (chapitres 1 à 121) et du péché (chapitres 122 à 269). Le livre III concerne le Christ (chapitres 1 à 73) et la vie chrétienne (chapitres 74 à 164). Enfin, le livre IV aborde la question des sacrements (chapitres 1 à 243) et des fins dernières (chapitres 244 à 290).

Il faut souligner que cette théologie n’est pas exhaustive. On remarquera en particulier l’absence de l’ecclésiologie (doctrine de l’Eglise) et de la bibliologie (doctrine de la Bible).

La méthode

Les propositions théologiques sont développées sous forme de réponses à des questions successives. Pierre Lombard commence par poser une question ou formuler un problème. Il cite ensuite les différentes autorités qui se sont exprimées sur le sujet, afin de proposer une réponse. En cas d’accord, la solution est donnée. En cas de désaccord ou s’il y a une objection formulée, le Maître procède alors à une « détermination ». C’est-à-dire qu’il explique comment concilier des affirmations apparemment contradictoires.

En effet, le principe de base de Pierre Lombard est ce que l’on pourrait appeler « l’inerrance des autorités ». Ces autorités, qui sont essentiellement les Ecritures Saintes et les Pères de l’Eglise, sont infaillibles et ne peuvent donc se contredire entre elles. L’Ecriture ne peut pas contredire l’Ecriture, un Père de l’Eglise ne peut pas contredire l’Ecriture et un Père de l’Eglise ne peut pas contredire un autre Père de l’Eglise, la vérité étant une. C’est ce principe et cette méthodologie qui fondent toute la théologie médiévale de cette époque.

L’autorité la plus souvent invoquée, et de loin, est saint Augustin, avec près de 1000 citations. Après lui, Hilaire de Poitiers et Ambroise de Milan reviennent fréquemment, environ 100 citations chacun. On peut aussi mentionner Grégoire le Grand, 80 citations, et Jérôme, 70. Du côté grec, l’auteur le plus cité est Jean Damascène, avec 27 citations, suivi de Jean Chrysostome et Origène, avec respectivement 15 et 13 citations.

Conclusion

En conclusion, il n’est pas exagéré de dire que la lecture de cette œuvre est indispensable à toute personne qui souhaite s’initier à la théologie médiévale occidentale et, d’un point de vue chrétien, je dirais qu’il n’est pas envisageable de faire sérieusement de la théologie en occultant cette partie de notre histoire. Précisons cependant, qu’elle n’est pas forcément facile d’accès et nécessite certaines connaissances préalables.

Dans de prochains articles, je présenterai des livres issus d’autres domaines permettant de découvrir les mentalités des hommes de l’Occidental médiéval.

Pour terminer, j’aimerais simplement citer ces quelques paroles de Pierre Lombard, qui lui-même reprend Augustin, et que je partage entièrement :

« Quant à moi, je n’aurai nulle contrariété à chercher, si j’hésite quelque part, ou de honte à apprendre, si j’erre quelque part. Qui que ce soit donc qui entende ou lise cela, poursuive avec moi, là où il partage une même assurance ; cherche avec moi, là où il connaît une même hésitation ; revienne vers moi, là où il reconnaît son erreur ; me reprenne là où l’erreur est mienne. C’est ainsi que nous nous engagerons ensemble sur le chemin de la charité, tendant vers celui dont il a été dit : « Cherchez sans cesse son visage. » (1)

Note

(1) Pierre, Lombard, Sentences, I, 2, 4 (citant Augustin, La Trinité, I, 2-3, 4-5).

Bibliographie

Pierre Lombard, Les Quatre Livres des Sentences, (trad. M. Ozilou), Paris, Le Cerf. 2012-2015.

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