
Un nouveau projet de loi vient d’être proposé par un député français. Le but de ce projet est d’interdire l’expression de l’antisionisme, car celui-ci servirait à camoufler des idées antisémites. Si l’intention de combattre l’antisémitisme est tout à fait bonne et nécessaire, ce projet de loi me paraît une très mauvaise idée pour trois raisons, que j’aimerais maintenant présenter.
La première relève de ma conception générale de la liberté d’expression, son utilité dans le développement des sociétés humaines et le rôle de l’État dans la régulation de celle-ci. La deuxième est plus pragmatique, puisque je pense que cette loi en particulier, mais aussi les autres lois allant dans le même sens, sont contre-productives et contribuent au développement des idées qu’elles entendent combattre. Enfin, la troisième est plus spécifique au sujet et concerne la distinction entre « antisémitisme » et « antisionisme ». S’il est incontestable que chez certaines personnes l’antisionisme est simplement un masque de l’antisémitisme, il n’est pas non plus possible d’assimiler ces deux concepts, car on peut tout à fait adhérer à l’antisionisme pour des raisons politiques ou religieuses, sans avoir la moindre haine contre les juifs. La meilleure preuve étant qu’il existe aussi des juifs antisionistes, qui revendiquent fermement leur « judéité », tout en refusant d’adhérer au sionisme.
1. La liberté d’expression et le développement des sociétés humaines
a) Dialogue et progrès humain
La première raison est philosophique. Je pense que le débat est nécessaire au progrès des individus et des sociétés et qu’il est dangereux de vouloir limiter ce débat par des lois. Sous couvert de protéger les individus, et les sociétés, contre des idées nuisibles, et qui souvent le sont effectivement, on crée en réalité des êtres fragiles incapables de se défendre intellectuellement.
Tout récemment, je lisais un article qui expliquait que des étudiants, aux États-Unis, avaient demandé à leur université que les professeurs ne leur fassent plus lire des livres qui diffusaient des idées contraires aux leurs. Une telle demande me paraît extrêmement inquiétante, d’autant plus que ce n’est pas un cas isolé. J’ai moi-même pu constater que dans certains milieux, il y avait une réelle phobie d’entrer en contact avec des idées qui n’iraient pas dans le sens de nos convictions. Une telle attitude empêche tout progrès. C’est toujours par le dialogue, parfois « musclé », pour ne pas dire violent, que le progrès a pu se faire. C’est la base même des découvertes scientifiques. C’est en remettant en cause nos croyances du moment, que l’on progresse et que l’on peut découvrir de nouvelles choses. C’est d’ailleurs un des moteurs de mon blog et de ma chaîne Youtube. Vouloir protéger les gens des idées néfastes (racisme, négationnisme, complotisme, etc.) par des lois, ce que la France tente de faire depuis les années 1970, me semble donc un mauvais calcul.
b) Avènement des NTIC
À cette raison philosophique profonde, j’ajouterais une raison complémentaire, plus pragmatique : à notre époque cette volonté de censure est tout simplement inapplicable.
Lorsque les premières lois restreignant la liberté d’expression ont été votées en France, nous étions encore à une époque où l’information passait par les grands médias (journaux, télévision et radio principalement), qui pouvaient être plus ou moins contrôlés par l’État ou quelques grands groupes. Or, aujourd’hui, après la révolution numérique et le développement d’internet et des nombreux réseaux sociaux, ce n’est tout simplement plus possible. L’information, au sens large, circule librement et ce n’est certainement pas en tentant de censurer « les fausses nouvelles » (fake news) que l’on pourra combattre les idées mauvaises.
Seul l’armement intellectuel de chaque individu, par le développement notamment de ses connaissances, peut contrer cela. C’est quelque chose de beaucoup plus difficile à mettre en place, mais d’indispensable.
Pour terminer ce premier point, je dirais donc que la seule limite qui devrait être fixée par l’État est celle de l’intégrité physique des personnes (appel au viol, meurtre, etc.). Pour le reste, l’État devrait garantir une liberté d’expression, et de contradiction, totale, les idées, même mauvaises, devant être combattues par d’autres idées.
2. Légiférer sur ce sujet serait contre-productif
Le deuxième problème est qu’une telle loi serait contre-productive, car loin de diminuer l’antisémitisme, elle contribuerait au contraire à le renforcer.
En effet, les milieux qui se servent de l’antisionisme comme d’un cache-nez pour leur antisémitisme sont bien souvent imprégnés d’idées complotistes, pensant déjà que les « juifs contrôlent le monde ». Voter une telle loi ne ferait que les conforter dans leurs convictions.
C’est d’ailleurs vrai pour toutes les lois de ce type. Un article similaire aurait pu être écrit à propos de la loi contre « les fake news », même si celle-ci pose aussi des problèmes spécifiques.
3. Antisionisme et antisémitisme : une confusion impossible
Enfin, le troisième problème, qui concerne cette fois le sujet même du projet de loi est tout simplement que l’on ne peut pas assimiler ces deux termes. Il n’y a aucun doute sur le fait que certaines personnes utilisent l’antisionisme pour exprimer ouvertement, et légalement, leur antisémitisme.
Pour autant, on ne peut pas faire une généralisation abusive de ce comportement. On peut aussi trouver d’autres personnes qui refusent le sionisme pour des raisons politiques ou religieuses, sans la moindre haine contre les juifs. C’est pour cela qu’il y a des juifs, qui peuvent être juifs, et même fiers d’être juifs, je ne parle donc pas des « juifs honteux », tout étant non-sionistes, voire même antisionistes. J’aimerais illustrer cela par deux exemples.
a) Refus politique du sionisme
Tout d’abord, il faut rappeler qu’avant la Seconde Guerre mondiale, il existait différentes options politiques dans les communautés juives et que le sionisme, qui était l’une d’entre elles, était loin d’être majoritaire.
Après la Seconde Guerre mondiale, et surtout le choc de la Shoah, il est vrai que ces différentes options ont été considérablement affaiblies et que la majorité des juifs s’est progressivement ralliée au sionisme. Pour autant, réduction ne veut pas dire disparition et certains juifs ont continué à perpétuer ces alternatives. Un exemple fameux est celui de Marek Edelman (1919-2009), qui fut un des chefs de la révolte du Ghetto de Varsovie, et qui toute sa vie resta fidèle à ses convictions de jeunesse et n’accepta jamais de se rallier au sionisme.
b) Refus religieux du sionisme
En dehors du refus politique du sionisme, il y a aussi un refus religieux. Pendant longtemps, les communautés religieuses ont été majoritairement hostiles au sionisme, considérant que c’était un projet laïc. Pour eux, seul le Messie pouvait ramener les juifs en Terre d’Israël et reconstruire l’ancien royaume, qui serait alors gouverné par la Torah.
Si les juifs orthodoxes se sont progressivement ralliés au sionisme, cette ancienne position est encore très présente dans les milieux ultra-orthodoxes. Habitant actuellement à quelques centaines de mètres de Mea Shearim, le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem, je peux d’ailleurs directement en témoigner. Il n’est pas recommandé de venir dans ce quartier avec des signes israéliens et j’ai déjà pu voir des affiches explicitement antisionistes placardées aux murs. Les groupes les plus radicaux n’hésitent pas à brûler le drapeau israélien. Et pourtant, tous se revendiquent juifs et n’ont aucune honte de l’être.
Un célèbre adage israélien dit que le service militaire est ce qui transforme un juif en Israélien et c’est précisément ce que refusent ces juifs ultra-orthodoxes. Ils veulent rester des « juifs » et ne pas devenir des « Israéliens ».
Il est important de préciser que leur position est aussi fortement contestée au sein même du monde religieux. Elle existe néanmoins et on ne doit pas l’oublier. En ce sens, il n’est ni honnête, ni bon, de confondre « juif » et « sioniste ». Il y a des juifs sionistes, de même qu’il y a aussi des non-juifs sionistes, notamment les chrétiens sionistes sur lesquels je travaille, mais aussi des juifs non-sionistes ou antisionistes, qui tout en se sentant pleinement « juif », refusent le sionisme pour des raisons politiques ou religieuses.
Conclusion
En conclusion, je dirais que si vouloir lutter contre l’antisémitisme est une bonne chose, le faire par des lois me semble une mauvaise idée. Par ailleurs, dans ce cas précis, cette loi me paraît aussi contre-productive et fausse, puisqu’elle confond deux notions différentes (antisionisme et antisémitisme).
Plus généralement, loin de soutenir le vote de nouvelles lois qui limiteraient encore plus la liberté d’expression, je suis pour la suppression des lois déjà existantes. J’en parlerai certainement dans un prochain article.